b) Troubles de la conduite et du comportement (T.C.C)

« L'inquiétante étrangeté de l'incasable »

Comme le Pr. J. SELOSSE l'écrit, c'est souvent le ressenti qui nous envahit au contact de ces adolescents que l'on côtoie dans les Instituts de Rééducation. « La formulation d'Hubert Flavigny parlant de personnalité d'expression psychopathiques et dont "l'organisation intermédiaire" varie entre psychose, névrose et perversion rend bien compte de la mobilité et des évolutions de tels individus, dont le polymorphisme et la labilité des troubles dépendent en grande partie de facteurs extérieurs.»7 On comprend petit à petit que les élèves qui nous sont confiés, vivent sur les principes qui nous constituent en tant qu'êtres humains, mais d'une façon exacerbée et anarchique, comme échappant à un auto-contrôle psychique, balançant violemment entre les extrèmes des dérives psychologiques qui menacent tout être humain. C'est aussi un cruel rappel de ce que l'on aurait entrevu d'un devenir possible lors de notre propre adolescence et que l'on a manifestement évité, nous, adultes socialement établis et reconnus.

Quelles origines ?

Pour ne pas les appeler causes, je parlerai des constantes observables que l'on retrouve au fil des rencontres avec ces jeunes, de ces constantes qui apparaissent au fur et à mesure des lectures des anamnèses :

- relative déprivation culturelle ne prenant pas exclusivement son origine dans un milieu social défavorisé,

- carence affective forte, générée par des milieux familiaux de type pathologique ou/et délinquant (totalement indifférents, hostiles,...,consciemment et inconsciemment),

- absence ou dérive du système de valeurs, engendrées par la société ou/et par la famille ( exemple : que peut représenter la valeur "travail" pour un enfant vivant au milieu du chômage, quelquefois n'ayant jamais eu dans son entourage d'adulte travaillant ?).

Tous ces manques placent inexorablement l'adolescent dans la position de créancier d'une dette interminable face à un débiteur insolvable ainsi que l'explique P.KAMMERER 7 .

Repères cliniques, passage à l'acte

J-P CHARTIER donne des repères intéressants afin de comprendre le fonctionnement de l'adolescent "incasable" ou encore "border line", c'est-à-dire présentant des troubles de la conduite et du comportement.

« C'est que sa vie ( de l'adolescent incasable) s'organise autour d'un tryptique existenciel que nous avons appelé les 3 "D" : DENI, DEFI, DELIT.

Le déni est cette incapacité structurale chez lui à se situer en tant que responsable de ses actions.

... Le défi est au cœur de leurs conduites. Défi du droit et de l'autorité sous toutes ses formes ..., mais aussi défi de l'autre et défi de soi-même, censés démontrer son omnipotence.

... A la différence des actes manqués involontaires (dans l'acception de Freud), un certain nombre d'agirs psychopathiques sont le fruit d'une volition délibérée. Mais à l'exception de ces délits prémédités, ils se caractérisent par leur soudaineté, leur brutalité qui fait dire à leurs auteurs : "c'est plus fort que moi."»7

Ces trois "D" sont complétés par un quatrième, à l'initiative de J. SELOSSE, celui de délocation 7 , exprimant conjointement les mécanismes familiaux de rejet et l'absence d'endroit indispensable à tout être pour se repérer, pour grandir.

Le contact avec ces adolescents à personnalité perturbée m'ont souvent fait réagir par rapport à la façon différente qu'ils ont de vivre la temporalité, à un niveau statique (niveau classique du repérage dans le temps) et à un niveau dynamique (le temps ne passe pas de la même manière pour eux et pour nous).

Il me semble intéressant de mettre ici en parallèle les constatations respectives

de JEAN-PIERRE CHARTIER 7 :

«Il conjugue le temps suivant trois modalités qui sont le "passé pas simple", le "présent immédiat", et le "futur inexistant".»

et de MARYSE VAILLANT 7 :

«Ainsi, souvent leur temporalité se conjugue au passé plus qu'imparfait, au présent impératif, et au futur conditionnel.»

Comme nous l'avons déjà vu, l'adolescent incasable vit avec un passé d'aléas et de manques, lui interdisant de se construire une histoire propre située dans une continuité générationnelle.

Le présent est le seul espace qu'il est capable d'investir sur le mode du "tout tout de suite" ou du "rien jamais", moment où l'acte est vécu sans réflexion, sans conséquence, comblant temporairement un besoin irrépressible.

L'état d'incertitude où il se trouve fait que l'avenir, le futur ne représentent rien au delà du week-end. La notion de préparation de cet avenir n'a aucune signification, elle est donc ignorée ou violemment refusée.

Après une analyse des passages à l'acte de 660 jeunes en difficultés suivis pendant dix ans, J. SELOSSE 8 détermine quatre paliers de transgression . Ces quatre paliers qui correspondent au processus de développement de la personnalité antisociale de l'incasable, recouvrent bien les observations que l'on peut faire dans nos institutions.

Voici les quatres paliers tels qu'il les décrit :

« 1- Un schème opératoire concret sur un registre émotivo-moteur prédomine chez les prépubères qui au travers d'actions désordonnées explorent les territoires et les règles fonctionnelles des équipements sociaux.

2- Un schème d'affirmation de soi et de quête de rôles défie et provoque les systèmes normatifs prônés par les modèles sociaux. Il est observé chez des sujets pubères en quête de différenciation et de reconnaissance identitaire.

3- Un schème d'interrogation axiologique s'adresse aux divers systèmes interdicteurs et répressifs qui appliquent des sanctions règlementaires et légales. Il est surtout présent chez des adolescents qui n'ont pas intégré la valeur structurante de l'interdit.

4- Un schème d'agression et d'attaque physique tend à nier les interdits et à les remplacer par la loi du plus fort. L'attaque est la forme agie de la négation par exclusion d'autrui.»

La réparation

Un adolescent plongé dans la transgression depuis son enfance ne peut se réinsérer dans la société si une dynamique de réparation n'est pas mise en place. Dans le cadre d'un passage à l'acte délictueux, la réparation peut viser la victime, la société ou le jeune. L'objet de ce mémoire est d'élaborer une situation ayant pour objectif la réparation du jeune par rapport à sa situation générale et non en rapport avec un passage à l'acte précis.

« L'objectif de réparation du mineur, plus complexe, échappera toujours aux professionnels qui y auront contribué : il appartiendra au mineur de se saisir des opportunités que l'adulte lui aura proposées et que la vie lui offre, afin d'en tirer les meilleurs bénéfices possibles.»9

A cette fin, il est primordial d'insérer le jeune dans l'optique d'une action positive au profit de quelqu'un, d'où l'importance des situations de restitution de vécu envisagées au terme du projet. Mais la réparation ne peut être envisagée sans une action de responsabilisation : « ... lui faire prendre conscience que réparer ne veut pas dire effacer l'acte transgressif ou agressif mais le reconnaître, se reconnaître acteur des éléments de sa vie, puis auteur de ses actes.»9 Cet objectif sera plus particulièrement celui des périodes de navigation à la voile.

 

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